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Carnet littéraire
19 janvier 2022

L'élégance des veuves, Alice Ferney

L-elegance-des-veuves

 

"Le premier goût du malheur, elle l'eut trois années avant la fin de son mariage : le septième enfant ne vécut qu'une journée, le temps de sourire aux anges et de partir les rejoindre. Il porta pendant quelques heures le prénom d'Etienne, et Valentine le pleura jusqu'à la naissance de Pierre qui serait son dernier enfant. Elle pleura l'attente vaine, les longs mois de rêve, cette idée que l'on a de l'enfant caché. Elle pleura d'épuisement, des larmes d'eau qui noyaient son visage, des larmes de lait comme remontées de ses seins lourds et vains. Il lui semblait avoir un creux dans les bras, un poids qui manquait, un trou de chaleur absente. Chaque nuit elle s'éveillait malgré elle aux heures des tétées. Elle se sentait spoliée. Elle souffrit les regards tristes de ses enfants, les questions des amis, les naissances heureuses chez les autres. Ses yeux brouillés revenaient sur l'image du minuscule cercueil blanc porté en terre par un seul homme, d'une seul main. Elle pleura en s'endormant ou ne dormit pas, elle pleura en parlant, et aussi en se taisant, comme si à cet enfant dont elle avait à peine vu le visage (et qui, pensait-elle, n'avait pas eu le temps de distinguer celui de sa mère), elle donnait toute l'eau dont son corps était fait."

 

 

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