L'ourse qui danse, Simonetta Greggio
"Je chargeai le grand corps de l'ourse sur mon traîneau.
Je me rendis là où je l'avais rencontrée la première fois.
Près du cours d'eau rempli de saumons.
Pendant des jours, chantant et priant, je nettoyais sa peau.
Je grattais la chair, raclais la graisse.
Elle était de nouveau là, entre mes bras.
Ses grosses pattes qui avaient parcouru des centaines de kilomètres. Son ventre aux six mamelles, son sexe qui avait mis au monde d'autres oursons après celui que j'avais tué.
Ses oreilles si douces.
Son museau terrifiant.
Sa magnifique tête de mythe ancien.
Quand enfin je l'ai reconnue dans toute sa majesté.
Quand la lune est devenue noire. Première lune de printemps.
Quand sa peau a été aussi propre que celle d'un nouveau-né après son premier bain.
Et que les étoiles ont brillé dans un ciel plus sombre que la plus sombre des nuits rêvées.
J'ai suspendu mon ourse à un autel de bois flotté.
Et je l'ai brûlée.
Au cours de cette nuit plus noire que la plus noire des nuits.
J'ai versé toutes mes larmes.
Jusqu'à me brûler les yeux.
Pour elle.
Pour moi.
Pour notre monde perdu.
Pour cette Terre que personne ne sauverait.
Et dans mes larmes je les ai vues.
Au milieu du ciel,
La Grande Ourse.
La Petite Ourse
S'en aller."